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Manifeste « Facteur 10 »

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En Bref:

«Nous ne pouvons pas nous permettre pour le moment de protéger l’environnement de la même façon qu’en Occident. Nous allons d’abord établir une économie de marché et ensuite, lorsque nous serons aussi riches que vous, nous nous occuperons de l’environnement», c’est ce que S. S. Shataline, principal conseiller économique du Président Gorbatchev, déclarait en 1989 à Bio Schmidt-Bleek lors d’une conversation à l’Institut International pour l’Analyse des Systèmes Appliqués (IIASA) à Laxenburg, Autriche.

Cette rencontre a donné naissance aux concepts Facteur 10 et 4, poids morts (rucksacks) écologiques, TMF (Total des Matières en Flux) ou TMR (Total des Matières Requises) et MIPS : (quantité de) Matières Indispensables Par unité de Service ou de fonction. J’ai ensuite commencé à rechercher une autre façon de protéger l’environnement, une voie vers la durabilité qui puisse être partie intégrante du marché et générer des profits au lieu de
coûts.

Les réactions violentes et meurtrières de l’écosphère aux agressions imposées par les activités humaines sont en train de s’étendre partout dans le monde. L’humanité vit dans un environnement de plus en plus dangereux et non durable. Les services essentiels fournis par l’environnement déclinent à un rythme alarmant. Comme jamais auparavant, de plus en plus de personnes sont exposées à la pollution atmosphérique et ont de moins en moins accès à de l’eau propre, en outre, les sols fertiles s’érodent rapidement. Les réserves d’eau douce s’amenuisent, la diversité biologique diminue rapidement, tout comme les zones forestières.

Les tornades destructives sans précédent endurées par la France juste avant Noël 1999 ont conduit le secteur des assurances à demander avec insistance aux pouvoirs publics de renforcer les politiques de prévention du changement climatique.

Questions :

Il convient de répondre à trois questions essentielles lorsque l’on envisage de restructurer écologiquement l’économie mondiale afin qu’elle progresse infailliblement vers un avenir plus durable, tant au plan écologique qu’économique :
Premièrement: Quelles sont les causes essentielles, imputables à l’homme, de l’aggravation de la crise écologique ?
Deuxièmement: Jusqu’où le genre humain pourra-t-il exploiter avec sa technologie la planète qui le supporte sans endommager gravement et irréversiblement les services que l’environnement lui fournit pour sa survie?
Troisièmement: Quelles sont les caractéristiques d’une stratégie profitable à tous qui offrirait sans coûts supplémentaires une protection efficace et préventive de l’environnement en tant que partie intégrante d’une économie de marché?

Réponses:

Premièrement: La détérioration de l’environnement résulte non seulement de la pollution mais aussi des procédés mis en oeuvre pour l’extraction des ressources naturelles. En fait, cette extraction en est la cause principale, non seulement parce que toutes les matières entrant dans une économie se retrouvent tôt ou tard dans les émissions ou dans les déchets, mais aussi parce que le déplacement technique de ressources naturelles suscite en soi des modifications irréversibles.
Deuxièmement: D’après ce qui a été observé, la consommation mondiale de ressources naturelles doit être réduite en moyenne d’au moins la moitié avant que l’on puisse espérer atteindre un niveau d’évolution combinée et équilibrée entre l’économie humaine et l’écosphère. Cela implique une réduction en quantités absolues des ressources consommées, qu’il s’agisse de matières fossiles, de métaux, d’eau douce, de poissons ou de bois.
Troisièmement: Une stratégie profitable à tous se caractérise essentiellement par l’augmentation de la productivité des ressources utilisées par la totalité des machines qui produisent des richesses pour l’homme, sous l’impulsion de notables réformes fiscales et avec le soutien d’une innovation massive dans les domaines de la production, des échanges et de la consommation. Les pratiques, normes et standards industriels doivent être révisés en fonction de leurs incidences sur l’utilisation des ressources. Enfin, il faudra s’entendre sur des indicateurs directionnels solides.

Plus en détail

Déchets

En moyenne, plus de 90 % des ressources prélevées et déplacées dans la nature sont gaspillées lors de la production d’aliments, de machines, de véhicules et d’infrastructures. Tous les systèmes occidentaux fonctionnent avec des quantités de déchets. Bien souvent, répondre aux besoins du genre humain n’est nullement un problème d’accroissement des approvisionnements mais plutôt d’utilisation plus intelligente des ressources disponibles.
Chaque année, près de 100 tonnes de ressources non renouvelables, auxquelles s’ajoutent plus de 500 tonnes d’eau douce, sont consommées en moyenne par personne pour maintenir l’actuel style de vie des pays industrialisés, c’est-à-dire 30 à 50 fois plus que ce qui est disponible dans les pays les plus pauvres.

Chaque Allemand mobilise à la surface de la terre 150 mètres carrés qui servent à produire les grains de son café quotidien. Pour fabriquer un convertisseur catalytique pour une voiture, il faut à peu près 3 tonnes de matières naturelles non renouvelables et entre 8 et 14 tonnes pour un ordinateur personnel. Sur cette terre, il n’y a pas assez de matières premières, d’eau ou d’espace pour assurer cette sorte de consommation à tous les êtres humains. Trois planètes n’y suffiraient pas si toute la population de cette terre adoptait les technologies et les modes de vie occidentaux. Mais bien avant que les économies arrivent à court de ressources, l’humanité aura commencé à souffrir des conséquences écologiques désastreuses de ce comportement parasitaire. Les services rendus par l’environnement ne peuvent pas être, dans la plupart des cas, remplacés par de la technologie, quel qu’en soit le prix.

Facteur 10

Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’instauration de la durabilité exige une réduction des ressources utilisées de plus de 50 % en termes absolus. En outre, l’équité veut que les riches laissent assez d’espace environnemental libre pour les pauvres lorsqu’ils progresseront ensemble sur la voie de la durabilité écologique. Comme moins 20 % de l’humanité consomme à l’heure actuelle plus de 80 % des ressources naturelles, les pays riches doivent dématérialiser les fondements techniques de leur richesse – ou augmenter la productivité des ressources – d’au moins un facteur 10 en moyenne (Schmidt-Bleek**, 1993).

Le Facteur 10 n’est pas une réponse mathématique à la crise complexe de l’environnement, ni un modèle économique. C’est un objectif valable, en même temps qu’un but ajustable qui se précisera au fur et à mesure qu’augmentera l’expérience acquise lors de l’évolution du style de vie.

Justice

Que ce soit au niveau global ou national, la consommation d’environnement par les riches a une incidence considérable sur les chances de voir s’instaurer une plus grande justice sociale (Sachs*, 1999). Une des raisons à cela est la confusion courante entre propreté et durabilité. Pendant 25 ans, les politiques d’environnement ont porté en grande partie sur l’épuration et la protection de l’air, de l’eau et du sol. Les responsables de la réglementation se sont concentrés sur la réduction des flux de substances dangereuses dans la nature, et des dispositifs de filtration ont été installés en fin de processus de façon à limiter les émissions en fin de production et de consommation. Si la crise de l’environnement se décrit en termes de pollution excessive, la question de la justice ne se pose que lorsque la répartition sociale des effets nocifs est prise en compte – qui est davantage victime de la pollution que d’autres ? Mais la justice prend un sens différent et plus fondamental si la crise est décrite en termes d’utilisation excessive de ressources.

Politiques d’environnement

Même une économie dite « propre » peut allègrement continuer d’éroder les sols, d’abattre les forêts, de dégrader la diversité biologique et d’élever le niveau de la mer. Ce qui compte réellement, c’est surtout le volume absolu de matières consommées, et pas tellement les produits polluants présents à la sortie. Les performances environnementales de la plupart des entreprises de production dépendent bien davantage de la conception et de la teneur en matières de leurs produits et de leurs services que de la façon dont ceux-ci sont obtenus. Et pourtant, la plupart des politiques actuelles d’environnement visent toujours l’aval de l’économie plutôt que l’amont. Elles encouragent les solutions appliquées en fin de processus et le traitement ou le recyclage des ressources, plutôt que l’augmentation de leur productivité. Ces politiques s’appuient rarement sur les forces du marché. Elles restent asservies au mythe dépassé selon lequel une économie florissante a besoin de toujours plus de ressources naturelles. En fait, les politiques d’environnement en vigueur contribuent elles aussi à la non-durabilité en ce sens qu’elles requièrent pour leur mise en oeuvre une consommation supplémentaire de ressources. Par voie de conséquence, elles favorisent une augmentation régulière des coûts de la protection de l’environnement, que ce soit au plan technique ou administratif.

Echéance

«En une seule génération, les nations peuvent rentabiliser dix fois plus l’énergie, les ressources et les autres matières qu’elles utilisent » (Club du Facteur 10). Cependant, des dispositions précises en vue de la durabilité doivent être prises maintenant, alors que plus de deux milliards de personnes s’efforcent vigoureusement de copier le mode de vie occidental, accentuant encore davantage la dangereuse pente menant à l’effondrement des services de l’environnement. En outre, il faudra au moins une dizaine d’années pour établir un système économique différent et des technologies plus éco-intelligentes tout en évitant de perturber gravement l’économie.

Une des illusions fondamentales – mais profondément ancrée – du système économique actuel en occident est son attachement au court terme car il fonctionne sans tenir compte de l’avenir. Cela doit changer. L’enjeu n’est pas seulement la durabilité écologique, mais aussi la durabilité économique et sociale.

MIPS et Rucksack (Poids Mort Ecologique)

En l’absence de mesures et d’indicateurs convenables, la gestion demeure onéreuse et risquée quant aux orientations à adopter (EEA, 1999). Il faut donc que l’amélioration technique de l’utilisation des ressources et les modifications du comportement du consommateur soient quantifiables – et mesurables par rapport à un objectif comme le Facteur 10. Sinon, la progression vers la durabilité restera pratiquement ce qu’elle est aujourd’hui : un vol de nuit dans le brouillard sans instruments de navigation fiables. Il est bien connu que les mesures de performances ou de qualité par rapport à l’environnement peuvent être gravement trompeuses si elles ne se fondent pas sur des observations «du berceau au berceau» (Stahel*). En raison du nombre considérable de produits, de services, de procédés techniques, de consommateurs, d’entreprises et de négociants concernés par l’échange et la consommation de biens entre environ 200 pays, les indicateurs doivent être efficaces par rapport à leur coût, faciles à comprendre et à appliquer, indiquer la bonne direction, être calculés rapidement et reconnus au niveau international, s’ils doivent aider à la prise de milliards de décisions quotidiennes en vue de la durabilité. Durabilité qui s’établira sur le marché, ou pas du tout. Le plus souvent, la valeur d’un produit ou d’un service donnés s’évalue en premier lieu en comparant l’intrant (le prix) à l’extrant (le plaisir, le service, la fonction) que d’aucun obtient en utilisant ce produit ou en se procurant ce service.

Similairement, la quantité de ressources naturelles entrant dans chaque unité de fonction ou de service peut servir à comparer dans un premier temps « les prix écologiques » de produits fonctionnellement équivalents ou de services semblables. Selon l’importance de la décision à prendre, des réflexions plus approfondies peuvent s’avérer nécessaires par la suite, exactement comme dans le cas où la comparaison du prix monétaire a abouti à un premier résultat encore insuffisant pour prendre une décision définitive.

L’économie humaine utilise des matières et de l’espace (surfaces) qui sont des ressources naturelles prélevées sur l’écosphère. Déplacer des matières de leur lieu d’origine et supprimer des sols qui remplissent des fonctions écologiques suscitent inévitablement des modifications dans le milieu naturel. Le retour de flux de matériaux de la technosphère vers l’environnement – fréquemment sous une forme physique et chimique modifiée - entraîne un stress supplémentaire.

En 1992, j’ai proposé le concept MI/S ou MIPS : (quantité de) Matières Indispensables Par (unité de) Service en tant que mesure fondamentale du potentiel des produits et des services d’exercer des pressions sur l’écologie. Le M représente la somme totale de toutes les matières naturelles utilisées (analyse du cycle de vie ou «Life Cycle Analysis» - LCA), y compris celles qui ont été déplacées et utilisées pour fournir l’énergie nécessaire. S, qui désigne la fonction ou le service souhaité doit évidemment être précisé dans chaque cas . A la différence de M, S n’est pas quantifiable.

Plus MIPS est grand, plus sont élevés les « coûts écologiques par unité de fonction ». Le MI associé à un S donné peut alors être évalué en unités de poids. Les facteurs MI de matériaux de base (comme l’acier, les matières plastiques, le bois ou le ciment, voir http:/wupperinst.org) permettent de calculer directement le MI et le Rucksack écologique de produits complexes (Schmidt-Bleek, 1999/1).

Le Rucksack écologique d’un produit s’obtient en déduisant son propre pois du MI.

MIPS peut être amélioré

Le MIPS des produits peut être réduit – ou la productivité de la ressource peut être accrue - grâce aussi bien à des choix sociaux qu’à des progrès techniques.
Par exemple, déménager dans un appartement plus petit quand les enfants sont partis, mettre en commun des objets au sein d’une même famille ou entre amis ou encore acheter une voiture plus petite peut notablement contribuer à la préservation des ressources. La longévité d’une machine se verra accrue grâce, soit à une modification technique, soit à un meilleur entretien et donc à une utilisation prolongée. L’échange de matériaux (en les remplaçant par des matériaux dont le rucksack est plus faible) est évidemment capable aussi d’abaisser le MI. En outre, S peut être accru en revoyant toute la conception du produit (mise au point, par exemple, d’un produit multifonctionnel comme le couteau de l’armée suisse) (Schmidt-Bleek, 1993, 1995, 1998).

Le Rucksack et la Surface Indispensable Par unité de Service (SIPS)

Les facteurs MI des matériaux de base vont de 1,2 pour le bois brut, 5 pour le plastique classique, 85 pour l’aluminium, 500 pour le cuivre, jusqu’à 540.000 pour l’or. La plupart des matériaux non renouvelables recyclés ont des rucksacks inférieurs à ceux de matériaux vierges, mais d’autres non, c’est le cas du PVC, par exemple. Le MI dépend de l’origine du matériau, des conditions de transport, ainsi que des procédés techniques mis en oeuvre pour sa transformation. Ainsi, les facteurs MI changent avec le temps et doivent être régulièrement révisés et ajustés. Pour ce faire, il faudrait des institutions approuvées au niveau national et international. Le réseau d’innovation du Facteur 10 vient de recevoir un financement de l’Allemagne et de l’Autriche destiné à l’établissement d’une première base de données pour MI et MIPS. Comme pour MIPS, la surface précise occupée par des produits, des plantes cultivées, des bâtiments, des infrastructures et des services peut être calculée en terme de SI/S ou SIPS (Surface Indispensable Par unité de Service). S peut se mesurer en mètres carrés. La surface réelle à utiliser pour calculer SIPS peut être pondérée en fonction de la diminution des fonctions écologiques. Par exemple, occulter complètement une étendue sous une couche de ciment constitue le maximum de perturbation. L’utilisation d’un sol pour la production agricole diminue moins, par contre, les fonctions naturelles de ce sol. (Liedtke, 1998).

Energie

La consommation d’énergie en tant que telle a peu d’incidences écologiques dans la plupart des cas. Le facteur écologiquement décisif de l’utilisation de l’énergie est son MIPS, c’est-à-dire la consommation de matières naturelles par unité d’énergie fournie là où elle est nécessaire. Par exemple, l’utilisation de lignite pour le chauffage constitue une menace particulièrement sérieuse pour l’évolution de l’écosphère parce que chaque tonne nécessite en moyenne le déplacement de plus de 10 tonnes de déblais et d’eau. Cette utilisation implique en outre la suppression de sols qui remplissent des fonctions naturelles et l’utilisation d’équipements de transport dont la construction est très gourmande en ressources – sans oublier les CO2, SO2 et NOX, auxquels vient s’ajouter sur les lieux d’extraction la poussière qu’il faut filtrer dans toute la mesure du possible en utilisant des techniques qui nécessitent là encore, beaucoup de ressources naturelles.


Par ailleurs, les centrales solaires et éoliennes sont des technologies relativement bien dématérialisées qui fournissent de l’énergie avec presque cinquante fois moins des ressources nécessaires aux centrales alimentées en lignite. En outre, le rucksack de ces installations peut encore être considérablement allégé. La fabrication de cellules photovoltaïques requiert d’énormes quantités de matières naturelles et les MIPS des voitures électriques sont bien plus élevés que ceux de véhicules classiques de capacité comparable. La voiture en aluminium de Audi a un Rucksack beaucoup plus lourd que celui de sa soeur traditionnelle en acier. Ce n’est que si le modèle en aluminium pouvait parcourir environ 600.000 km que son poids réduit deviendrait un avantage écologique (Schmidt-Bleek, 1998). Le MI non renouvelable pour chaque kWh produit en Allemagne est de 4,7 kg, alors que celui de l’électricité produite en Europe ne dépasse pas 2 kg et 0,8 kg en Autriche.

Dématérialiser une économie d’un facteur 10 aboutirait en gros à réduire la consommation d’énergie d’un facteur 5. Une telle dématérialisation signifierait donc la fin de l’utilisation de combustibles fossiles ainsi que l’arrêt de la controverse au sujet de l’énergie nucléaire.

Ce que le Facteur 10 ne peut pas faire

Le concept de Facteur 10 ne traite pas directement des questions de toxicité écologique ou de toxicité humaine. Les politiques de protection de l’environnement portant sur les substances dangereuses ne peuvent donc pas être guidées par la notion de MIPS, du moins pas uniquement par elle seule. L’utilisation de produits agrochimiques pourrait, par exemple, être réduit de plusieurs fois dans bien des cas, si les lois exigeaient des techniques d’application plus efficaces. Il convient de rappeler que la gravité des effets de produits donnés sur les êtres humains ou sur l’environnement ne dépend pas seulement de leur toxicité intrinsèque mais aussi de leur concentration et de leur quantité sur le lieu d’exposition. Par exemple, il est parfaitement possible de tuer quelqu’un en lui faisant ingérer plusieurs litres d’eau distillée et une pelouse peut être asphyxiée si on répand suffisamment de sable dessus. Il y a sur cette terre des millions et des millions de personnes affamées qui ont été chassées de chez elles par des dunes de sable en mouvement.

Toute dématérialisation radicale d’une économie réduira les risques d’exposition dans la technosphère à des produits aussi bien naturels que synthétiques. Ceci peut évidemment être facilement contrebalancé (effet boomerang) par l’introduction de nouvelles substances dangereuses. Beaucoup de pays disposent cependant d’instruments de protection légale servant au contrôle de l’utilisation de substances toxiques et d’autres pays adhèrent à la Procédure d’information et de consentement (PIC) préalables susceptible de les protéger d’importations non souhaitées (OCDE, PNUE).

L’Agence européenne pour l’environnement est en train de mettre au point de nouveaux indicateurs de la dangerosité relative des produits chimiques. (AEE, 1999).

Qu’il soit bien entendu que la durabilité écologique ne peut être obtenue au moyen des seules politiques de contrôle des substances dangereuses, quelque soit leur coût – pour des raisons pratiques et théoriques. Cependant, on ne saurait ignorer que de telles politiques conservent une grande importance pour la protection de la santé humaine et de parties fragiles de l’environnement.

La perte de diversité biologique est un autre domaine où des politiques appliquant le concept de Facteur 10 n’offrent qu’une protection indirecte. Mais là aussi, les quantités jouent un rôle important. Par exemple, le défrichement toujours croissant d’habitats naturels, la préparation, le traitement chimique et l’utilisation de plus en plus intenses des sols pour la production de récoltes, ainsi que l’extension rapide de zones destinées aux infrastructures et à l’urbanisation jouent un rôle considérable dans la disparition des espèces.

TMF/TMR

Les déclarations relatives à l’efficience relative d’un produit donné, que ce soit au niveau des ménages ou des entreprises restent peu pertinentes tant qu’elles ne sont pas rapportées à des volumes absolus au niveau global: il n’y a pas de lien direct entre des déclarations d’efficience relative et l’échelle absolue, mais en fin de compte c’est l’échelle absolue de consommation de ressources qui compte. C’est pourquoi la notion d’efficience, pour devenir pertinente, doit être intégrée à une perception plus large de la productivité des ressources. Cela peut se faire en mesurant régulièrement le Total des Matières en Flux – TMF - ou le Total des Matières Requises - TMR (y compris leurs rucksacks) des nations ou des régions (Bringezu, 1993, WRI, 1997, ISD, 1999).

Montrer que le TMF divisé par le PNB diminue avec le temps ne prouve pas que la productivité des ressources augmente de façon écologiquement acceptable puisque le TMF peut être toujours en train d’augmenter.

Effets de rebond

Il existe des effets qui contrecarrent les réductions de l’utilisation de ressources, de la production de déchets et d’émissions obtenues au niveau de la production et de la consommation individuelles. Ces effets représentent probablement la menace la plus sérieuse contre les efforts visant à l’instauration de la durabilité. Les effets de rebond peuvent provenir d’améliorations techniques de l’efficience qui stimulent une nouvelle expansion. Ainsi, les économies d’énergie obtenues grâce à l’amélioration des moteurs de voitures sont souvent « avalées » par des voitures devenues plus grosses, plus rapides ou capables de couvrir plus de kilomètres. Citons parmi d’autres exemples l’utilisation accrue des télécopieurs et donc de papier. Bien entendu, la simple croissance matérielle d’une économie peut aussi aller à l’encontre d’améliorations d’efficience obtenues au niveau de technologies individuelles. Par exemple, la consommation d’électricité a régulièrement augmenté depuis plusieurs dizaines d’années alors que l’efficience des centrales a augmenté d’un facteur supérieur à deux pendant la même période. Si on connaissait la composition du TMF pour les différents secteurs de l’économie, on pourrait y détecter des effets de rebond et les maîtriser avec des mesures appropriées.

Psychologie, technologie, enseignement et formation

Les programmes de radio et de télévision, la presse, les programmes des écoles préparatoires aux universités, ainsi que des monceaux de livres traitent encore de façon traditionnelle des problèmes d’environnement et de leurs solutions. C’est-à-dire : il y a beaucoup des coupables dans ce bas monde, particulièrement parmi les avides industriels qui empoisonnent l’environnement pour gagner de l’argent. Nous devons cesser d’utiliser et de manger certaines choses, respecter davantage notre « mère nature », nous avons besoin de davantage de « technologies environnementales », de lois plus strictes, et ainsi de suite, pour arriver à un comportement différent et éviter de souiller davantage notre patrimoine. Et nous avons besoin de plus de policiers pour livrer les coupables à la justice. Les ménagères consacrent des centaines de millions d’heures de travail (ni payées ni imposées) à trier des déchets, persuadées que ces tâches apportent une importante contribution à la cause de la durabilité. En réalité, elles nettoient (sans aucun bénéfice ni l’assurance d’un environnement meilleur) ce que le secteur de la production a placé (avec profit) sur le marché.

Par « technologies d’environnement », on entend généralement des équipements qui purifient l’eau et les sols ou qui retiennent ou neutralisent des émissions, des effluents, et des déchets dangereux provenant d’industries, d’entreprises agricoles, de foyers, de véhicules et de dépotoirs. Des maisons dites «énergie zéro» se font concurrence sur le marché sans que leurs valeurs MIPS soient prises en considération. Des bâtiments sont démolis sous prétexte de laisser place à des structures « respectueuses de l’environnement » édifiées grâce à des subventions. Le coton continue d’être considéré comme une bonne matière écologique même s’il faut 45.000kg d’eau douce d’irrigation (en Russie et aux Etats-Unis) pour en produire 1kg. Par ailleurs, les fibres chimiques, avec des rucksacks bien plus faibles, sont supposées détruire l’environnement. La plupart des militants écologiques allemands sont profondément convaincus que le «Transrapid» (Maglev) est un moyen de transport non écologique, même si des calculs récemment publiés montrent que, compte tenu de MIPS, il est bien meilleur que l’actuel système de transport par voie ferrée ICE (Inter City Express).

Si certaines activités d’épuration resteront nécessaires pendant la période de transition vers le futur, aucune d’elles ne mènera jamais à la durabilité. Une réorientation est absolument nécessaire et doit être lancée le plus tôt possible. Quelques entreprises actives dans ce domaine ont commencé à prendre des dispositions en vue de la dématérialisation, avec des bénéfices en perspective (Fussler*, 1996, Hawken*, 1999).

Cependant, pour progresser assez vite afin d’éviter des contrecoups de l’écosphère qui pourraient être meurtriers, nous avons besoin de nouvelles incitations, comme des politiques d’achats publiques orientées vers des produits à faible MIPS, de nouveaux programmes de recherche et de développement, des campagnes d’information, des programmes de formation et d’enseignement. Il nous faudra aussi récompenser les meilleurs réalisateurs et accorder des allègements fiscaux aux producteurs, aux négociants, aux constructeurs, aux institutions et aux consommateurs actifs dans ce sens – en complément d’une réforme fiscale radicale.

Population

S’agissant des ressources naturelles, les êtres humains peuvent se comporter uniquement comme des consommateurs. La technologie ne peut fournir la plupart des ressources ou des services offerts par la nature – quel qu’en soit le prix. Plus la population du globe augmentera et moins chaque individu disposera de ressources naturelles sur notre planète limitée. C’est pourquoi la tendance actuelle de la population mondiale contraint à ajuster le Facteur 10 continuellement à la hausse. Il existe cependant une tendance encore plus grave pour l’écologie que l’accroissement démographique, c’est celle du célibat, notamment dans les pays industrialisés. Car chaque célibataire a besoin d’investissements matériels de base semblables à ceux requis pour une famille avec enfants : salle de bains, toilettes, machine à laver, four à micro-ondes, aspirateur, perceuse, voiture, etc. En moyenne, l’arrivée d’un nouveau célibataire, en Allemagne par exemple, équivaut en termes de consommation de ressources à au moins cinquante nouveau-nés en Namibie.

Innovation et conception

Pour atteindre le Facteur 10, il est indispensable d’innover massivement dans la technologie et le domaine social et de réorienter la consommation. La condition de base d’une conception écologique est de produire autant d’unités de service ou d’utilités (et de plaisir) que possible avec la plus petite quantité possible de ressources naturelles (rucksacks compris) pour la plus longue durée possible. Ainsi, on pourrait dire qu’un tableau de Picasso est un produit très écologique. M. Yamamoto a récemment cité un magnifique exemple d’architecture durable (Yamamoto*, 1999). Le temple de Horyu ji, au Japon, a été édifié il y a environ 1300 ans, or ses éléments principaux avaient été construits en bois de cyprès, lui-même datant de plus de 2000 ans. Naturellement, le rucksack du bois est très faible. Horyu ji a survécu à de nombreux tremblements de terre. La durabilité de sa structure est en partie due à la souplesse de la charpente du temple dont le pilier central, solidaire du toit est flottant, ce qui permet de compenser les forces sismiques. Le pavillon du Japon à l’Expo 2000, conçu par Shigeru Ban, de Tokyo, est une structure réalisée en carton recyclé.

L’innovation doit désormais viser avant tout non plus à créer sans cesse des produits toujours nouveaux – surtout ceux qui visent à économiser la main-d’oeuvre – mais à apporter des réponses techniques et organisationnelles dématérialisées aux besoins et aux aspirations de la société.

Posons-nous maintenant une question pratique : de quelle façon et de combien pourrait-on améliorer la productivité, en termes de ressources, de l’utilisation des voitures en ville (en kilomètre par passager) à condition que tous les besoins actuels soient largement satisfaits? Malheureusement, aucune étude détaillée n’a encore été faite sur le sujet. Un premier calcul montre toutefois que l’on pourrait atteindre un facteur de 25 en utilisant les matériaux et les technologies actuels. La « Smart » de Mercedes s’engage sur cette voie d’avenir. Or elle est, déjà, régulièrement critiquée et tournée en ridicule par des journalistes parce qu’elle ne correspond pas à l’idée qu’ils se font d’une voiture…

Les annonces sur les gains de productivité obtenus pour des pièces d’un produit – par exemple l’amélioration d’un facteur 4 du carburateur d’une voiture – n’ont guère d’importance tant que ces gains ne portent pas sur la dématérialisation de l’ensemble de la «machine prestataire de services», l’automobile en l’occurrence. La réalisation du Facteur 10 n’est pas liée à une quelconque technologie. Les produits dématérialisés sont, par définition, des produits de haute qualité puisqu’ils doivent être durables et robustes, faciles à utiliser, à entretenir, à moderniser et à réparer. La conception de produits éco-intelligents, ainsi que l’information appropriée des consommateurs – par l’étiquetage, par exemple, - supposent que l’on connaisse les MI des matières premières.

Nombre d’expériences menées dans des entreprises sur l’application du Facteur 10 à la conception, montrent qu’un dialogue créatif doit s’établir entre les nombreux acteurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement, avec notamment la participation des consommateurs pour que des solutions nouvelles et satisfaisantes soient découvertes. Ces conditions sont beaucoup plus faciles à remplir par des entreprises locales ou régionales que par des acteurs d’envergure mondiale. En théorie comme en pratique, les produits doivent désormais être considérés comme des «machines prestataires de services» dont la possession est beaucoup moins importante que leur accessibilité pour une utilisation aisée et rationnelle.
Les exemples d’application pratiques du Facteur 10 (et même de facteurs beaucoup plus élevés) abondent (Fussler, 1995, Hawken, 1999, Yamamoto, 1999/2). Des méthodes pratiques qui
permettent de trouver des solutions techniques et sociales dématérialisées ont été mises au point et les lignes directrices en vue de leur conception et de leur application ont été publiées (Schmidt-Bleek, 1995, 1999).

Marchés, réforme fiscale et emploi

Les prix actuels des ressources naturelles sur les marchés sont sans aucun doute bien trop bas pour stimuler l’évolution vers le Facteur 10 et au-delà. Bien souvent, les prix de ces ressources sont subventionnés de diverses manières. En revanche, les coûts de main-d’oeuvre sont trop élevés dans la plupart des pays industrialisés et c’est pourquoi, souvent, les entreprises licencient des travailleurs pour les remplacer par des équipements gros consommateurs de ressources. Pour une très large part, le coût élevé du facteur travail (et non les salaires) est la conséquence de politiques délibérées et non le résultat inévitable des forces du marché. Dans l’Union européenne, plus de 80% des impôts portent sur le revenu (Paléocrassas, 1999). Des subventions massives (quelque 300 milliards de marks par an en Allemagne, par exemple) et les avantages consentis à certains groupes d’intérêts particuliers viennent perturber encore plus le marché, stimulant souvent la consommation de ressources, et il en est de même de bien des règles et normes techniques actuelles.

Les chances d’atteindre le Facteur 10 et les délais pour y parvenir dépendent pour beaucoup de l’accroissement des prix relatifs des ressources naturelles en tête de la chaîne de production. Les prix des matières premières et de l’énergie influent fortement sur la conception, la fabrication, le commerce et l’entretien des produits et bien entendu aussi sur les choix et le comportement des consommateurs. Une fois que le prix des ressources naturelles commencera d’augmenter, les forces du marché enclencheront cette évolution. Plus les prix seront élevés, plus la concurrence entre producteurs orientera l’innovation vers des produits et des services dématérialisés. L’Histoire a montré la voie : l’augmentation du coût du travail sous l’effet de politiques sociales et fiscales a provoqué, involontairement peut-être, l’éclosion d’un fantastique progrès technique dès la fin du 18ème siècle.

Et lorsque l’on pourra se procurer des services et des produits à faible MIPS (donc de moindre coût), ce sera un vrai plaisir de payer moins d’impôts. Tout le monde sait que, dans nombre de pays industrialisés, l’actuelle assiette de l’impôt ne permet pas d’assurer à moyen terme le financement des missions indispensables de l’Etat. Il serait plus que temps d’entamer une réforme majeure de la fiscalité pour toutes sortes de raisons autres que la protection de l’environnement. Les hommes politiques commettent donc une falsification lorsqu’ils donnent à entendre que la taxation des ressources est synonyme d’»éco-taxes ».
Si les recettes publiques sont alimentées non plus par le travail mais par les ressources, il en résultera probablement une création d’emplois puisque le travail sera alors moins cher (sans baisse de salaire). L’évolution d’une économie de consommation intermédiaire vers une économie dans laquelle la longévité des produits deviendrait l’étalon du succès, permettrait d’espérer plus encore un accroissement des besoins de main-d’oeuvre car il faut infiniment plus de travail pour entretenir, moderniser et réparer des produits, des bâtiments et des infrastructures que pour en construire des neufs (Bierter*, 1997).

Comme on a pu l’observer en Allemagne et dans d’autres pays, des avancées timides, par petites touches, vers la taxation des ressources peuvent constituer une expérience frustrante dont les démagogues ont tôt fait de s’emparer pour freiner l’évolution vers la viabilité de l’assiette de l’impôt et, en même temps, de l’environnement.C’est un fait avéré dans tant de domaines de l’existence où des changements de paradigmes sont imminents que seuls les dessins audacieux énergiquement menés seront couronnés de succès même si, en un premier temps, on pourra réaliser en partie seulement les objectifs initiaux.

Les échanges mondiaux et l’aide

La plupart des produits et services échangés aujourd’hui sur le marché mondial sont, par nature, de « MIPS élevé ». C’est pourquoi tout accroissement de la consommation mondiale, par la libéralisation des échanges ou le subventionnement, des transports par exemple, est contre productif pour l’environnement. Ceci vaut pour les produits industriels comme pour les produits agricoles. Par conséquent, toute nouvelle libéralisation des marchés mondiaux est actuellement un obstacle à la pérennité de l’environnement, quels qu’en soient par ailleurs les avantages éventuels.

De même, on peut considérer l’aide fournie actuellement aux pays en développement sous forme d’infrastructures, de bâtiments, de produits, d’aliments, et de services comme autant de bombes à retardement en termes d’environnement. Non seulement ces prestations sont, en soi, de grosses consommatrices de ressources mais en outre, dans les pays bénéficiaires, elles stimulent localement le développement d’aliments, de produits et de services non écologiques, se substituant à des pratiques anciennes beaucoup plus respectueuses de l’environnement. D’ailleurs, on l’a déjà fait remarquer, les ressources naturelles de la planète – y compris la surface même de la terre – et les conséquences sur l’environnement de la surexploitation de ces ressources ne permettent pas d’étendre le mode de vie occidental à six milliards, et plus, de personnes. Ainsi, à supposer que la Chine ait jamais un parc automobile de même densité que celui des Etats-Unis en nombre de voitures par habitant (avec des modèles semblables), cela voudrait dire que quelque 20% de ses terres cultivables auraient été transformées en routes et en parcs de stationnement. A l’évidence, la Chine et les autres pays émergents auront intérêt à trouver une solution nouvelle pour couvrir leurs besoins en matière de transports et de mobilité.

Il ressort de ces réflexions qu’il faut changer au plus vite les politiques d’aide aux pays en développement et d’exportation vers ces pays. Ainsi, dans une grande partie du monde, il faudra peut-être repenser le parc des systèmes d’alimentation en électricité (et en énergie en général). Le captage décentralisé (régional) de l’énergie solaire et l’utilisation généralisée du courant basse tension ne nécessiteraient pas les grands réseaux de distribution et les grandes centrales qui équipent actuellement les pays industriels.

Le lecteur gardera cependant à l’esprit que les nations du Tiers Monde n’accepteront vraisemblablement de participer aux efforts visant à la dématérialisation que si l’Ouest entame cette évolution et démontre qu’on peut atteindre un haut niveau de vie dans un monde dématérialisé. Il semble probable que les pays qui procèderont les premiers à la révision inévitable de leurs politiques d’aide et d’exportation seront ceux qui en tireront le plus grand bénéfice. De nombreux signes indiquent que le Japon sera parmi les gagnants.

La croissance économique dans une économie de services à la demande

La croissance économique traditionnelle de l’économie grâce à l’augmentation de la consommation de ressources naturelles sera fortement freinée à l’avenir. De même en sera-t-il de l’expansion du secteur des services tant que ceux-ci seront fournis à l’aide de technologies à MIPS élevé. Le Facteur 10, en revanche, permet de remplacer progressivement l’apport de ressources naturelles dans les produits par du savoir et du savoir-faire sans diminuer la satisfaction du consommateur. Par exemple, de nouveaux matériaux de synthèse – déjà presque du domaine du réel aujourd’hui – permettront de réaliser des ponts, des structures et des réseaux de transports terrestres fortement dématérialisés, imitant les qualités extraordinaires des toiles d’araignée. A la différence des ressources naturelles, les connaissances et le savoir-faire des hommes sont disponibles en quantités pratiquement illimitées. La voie du Facteur 10 offre donc de nouvelles formules possibles de développement économique. Non seulement les réalisations techniques pourraient être fortement dématérialisées mais en accroissant la capacité d’utilisation des produits, véhicules, bâtiments et infrastructures actuels (grâce aux technologies de l’information, par exemple), on pourrait réaliser des gains additionnels d’utilité par unité de ressources naturelles.

Si l’on peut caractériser les économies actuelles des pays occidentaux comme des systèmes à fort volume de consommations intermédiaires, à l’avenir, la marque distinctive des économies productrices de richesses et de profit pourrait être, et sera probablement, de fournir des services de grande qualité, à la demande, et de répondre aux besoins des individus à un bien moindre coût pour la nature que ce n’est le cas aujourd’hui.

C’est pourquoi le Facteur 10 devra être l’élément moteur majeur dans la création d’une économie viable de services à la demande (nachhaltige und dienstleistungorientierte Maaswirtschaft») (Lehner/Schmidt-Bleek, 1999).

A l’avenir, la mesure économique de la valeur des produits et des services devrait être le Coût Par unité de Service ou d’utilité (COPS) dont la Quantité de matière Indispensable Par unité de Service (MIPS) serait la contrepartie écologique.

Approche opérationnelle vers le développement durable : Initiatives

Dans le cadre de certaines initiatives récentes, des instruments pratiques ont été mis au point pour progresser vers un développement durable : Jola Welfens, de l’Institut de Wuppertal, a montré avec son projet « MIPS For Kids » (MIPS expliqué aux enfants) combien des enfants de huit ans peuvent comprendre aisément la notion de rucksack et l’utiliser en faisant les courses, par exemple (Huber, 1999). L’initiative Emission Zéro de l’Université des Nations Unies à Tokyo (Pauli, 1998), le Natural Step Program de Karl-Henrik Robert en Suède (Nattrass, 1999), l’Initiative pour une production moins polluante du Bureau Industrie et Environnement du Programme des Nations

Unies pour l’Environnement, à Paris, les projets de Claude Fussler* et Manfred Wirth à Dow Europe, Suisse (Fussler*, 1996), le programme de Leo Jansen* «Sustainable Technology Program» aux Pays-Bas (Weaver, 2000) et les activités du Réseau Innovation du Facteur 10 (Schmidt-Bleek, 1999/2), entre autres, aident et forment les industries, les collectivités, les ONG, les consommateurs et bien d’autres encore, à prendre des mesures systématiques dans le sens de la viabilité. La notion de Facteur 10/MIPS est non seulement compatible avec celle d’éco-efficience du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (World Business Council of Sustainable Development – WBCSD) mais il lui offre un «point de chute» et fournit la référence initiale pour mesurer de façon pratique l’éco-efficience des produits, des services et des performances.

Intéressé par les écrits de Weizsaeker, le Directeur de la Foire de Klagenfurt en Carinthie (Autriche), a organisé en 1998 la toute première exposition de produits dématérialisés jamais réalisée (Weizsaecher*, 1995). Puis, à l’initiative de Ryiochi Yamamoto et de M. Mitsushashi (Nikkei), la Japan Environment Management Association for Industry et Nihon Keizai Shimbun (Nikkei) ont organisé à Tokyo l’exposition «Eco-products 1999 » centrée sur les produits dématérialisés. Près de 300 entreprises ont participé à cette manifestation qui s’est tenue à nouveau en 2000.

Les initiatives politiques en faveur du Facteur 10

En 1987, la Commission Bruntland a conclu que l’humanité était capable de couvrir ses besoins sans mettre en péril la capacité des générations futures à couvrir leurs propres besoins. A la suite de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement à Rio de Janeiro en 1992, la plupart des gouvernements se sont engagés à prendre des mesures pour un développement durable.

En 1997, faisant le point des progrès accomplis en ce sens, l’Assemblée générale des Nations Unies en Session extraordinaire (UNGASS) à New York a noté qu’»il faudrait se pencher sur les études qui proposent une utilisation plus rationnelle des ressources et envisager notamment de multiplier par 10 la productivité des ressources à long terme et de quadrupler la productivité des ressources dans les 20 ou 30 prochaines années dans les pays industrialisés. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour étudier la faisabilité de ces objectifs et les mesures pratiques nécessaires à leur réalisation. Cette tâche incombera tout particulièrement aux pays industrialisés qui devront montrer la voie à suivre à cet égard ». L’UNGASS attirait l’attention en particulier sur la « Déclaration de Carnoules de 1997 aux responsables des gouvernements et des entreprises » du Club du Facteur 10 de notoriété internationale.

Les ministres de l’Environnement des pays membres de l’OCDE ont déclaré à Paris, dans leur communiqué de presse du 3 avril 1998 : « Les Ministres approuvent les objectifs suivants … promouvoir une stratégie intégrée qui encourage la cohérence entre les politiques économiques, environnementales et sociales, en s’attachant à : (entre autres) favoriser (des) démarches novatrices, telles que l’éco-efficience, visant à réaliser des améliorations substantielles de la productivité des ressources, d’un facteur 4 par exemple et, à terme, d’un facteur 10 ;».

La Présidente de la Réunion informelle des ministres de l’environnement de l’Union Européenne et des ministres des pays candidats d’Europe centrale et orientale et de Chypre (juillet 1999), Madame Satu Hassi (Finlande) résumait les débats en recommandant l’établissement d’objectifs assortis d’échéanciers, le cas échéant, en vue de l’amélioration de l’éco-efficience dans les différents secteurs et du suivi du développement à l’aide d’indicateurs adéquats. A cet égard, les notions de facteur 4 et de facteur 10 ont été évoquées. L’internalisation des coûts environnementaux, l’utilisation appropriée d’instruments économiques et la suppression de subventions non durables constitueront autant d’outils puissants pour l’instauration de modes de production et de consommation davantage éco-efficients. Les instruments économiques peuvent renforcer la compétitivité des industries ou de la base économique en général. Par ailleurs, il est possible de créer des situations profitables à tous dont l’environnement et l’économie peuvent bénéficier ensemble.

Perspectives

Pour que le développement soit durable, il faut que l’environnement et le développement économique soient conçus pour se soutenir mutuellement en amont du cycle lorsque l’on fixe les objectifs et les politiques, et non en aval, une fois que la société a déjà payé le prix d’un développement non viable. La dématérialisation crée les synergies nécessaires pour changer les valeurs de la société, en particulier dans les pays occidentaux. En fait, le concept de Facteur 10 offre en soi une incitation et une base précieuses pour faire progresser la mutation structurelle vers une économie plus novatrice, axée sur les services, et pour orienter les choix du consommateur dans le sens du développement durable. Le Facteur 10 apparaît ainsi comme un élément capital pour guider le développement dans le nouveau millénaire. Je ne veux pas dire que l’on ait réponse à tout. Par exemple, à la question des limites de la souveraineté nationale vu que les droits de l’homme sont bafoués dans de nombreux pays et que nous n’avons qu’une seule et même planète, la Terre, à partager. Nous pourrions aussi nous inquiéter du décalage croissant entre, d’une part, la puissance des compagnies et des opérateurs financiers à l’échelle mondiale et, d’autre part, leur contrôle démocratique. Quels nouveaux accords internationaux ou quelles nouvelles structures faudra-t-il pour que le jeu ne soit pas faussé. Par qui et comment pourront être maîtrisés les risques mondiaux d’instabilité qu’engendrent les conflits armés, le manque de nourriture, de soins, d’abris, ainsi que la maltraitance d’enfants dans de nombreux pays à travers le monde?

Si l’on veut faire de cette planète un lieu plus vivable et plus sûr pour les générations futures, en plus de la crise écologique, et en même temps, il faut s’occuper des grands secteurs de désordre dans les systèmes économiques et sociaux (Steilmann, 2000).
Malgré les incertitudes que demeurent, je reste convaincu que si le processus de dématérialisation ne commence pas bientôt, le tissu social de nos sociétés et l’écosystème mondial courent de graves dangers à moyen terme. De plus, si nous commençons d’agir dès maintenant, nous aurons la possibilité d’opérer un changement lent, par l’évolution, au lieu d’un changement brutal, par la révolution.

Carnoules, janvier 2000
Friedrich Bio Schmidt-Bleek
Anciennement Vice Président de l’Institut de Wuppertal
Président (fondateur) du Club du Facteur 10
Président de l’Institut du Facteur 10

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Explication de quelques termes

Surface Indispensable Par unité de Service (SIPS)
Indicateur fiable et directionnellement sûr pour comparer des produits remplissant des fonctions équivalentes sur la base de la surface qu’ils nécessitent. Il s’agit d’une mesure quantitative de la “surface naturelle utilisée” par unité de service, c’est-à-dire le prix écologique du service exprimé en surface.

Dématérialisation
Diminution absolue ou relative de l’utilisation de nature par unité de fonction ou de service.

Facteur 10
Objectif : Dématérialiser de dix fois en moyenne les économies des pays industrialisés en 30 ou 50 ans à partir de 1995. Donc augmenter de dix fois en moyenne la productivité de leurs ressources dans le même laps de temps.

MI : (quantité de) Matières Indispensables

Indicateur microéconomique. Englobe toutes les matières naturelles qui sont déplacées de leur site d’origine par des moyens techniques pour fabriquer un produit ou offrir un service. MI comprend toutes les matières naturelles qui sont utilisées pour fournir l’énergie nécessaire. MI s’exprime en tonnes ou en kilogrammes.

MIPS : (quantité de) Matières Indispensables Par unité de Service

Indicateur fiable et directionnellement sûr pour comparer des produits remplissant des fonctions équivalentes sur la base de la quantité de matières naturelles qu’ils nécessitent. Il s’agit d’une mesure de la quantité de matières naturelles utilisées par unité de fonction ou de service, c’est-àdire le prix écologique de la fonction ou du service exprimé en quantité de matière.

Eco Intensité
Indicateur de la “consommation de nature” (en matière, en énergie ou en surface) par unité
produite. Toute diminution de l’éco-intensité est synonyme de progrès sur la voie de la durabilité.

Produits éco-intelligents
Ustensiles, objets, aliments, machines, véhicules, bâtiments, infrastructures, etc., sans effets toxiques, qui produisent une quantité maximum d’unités de services de haute qualité à des prix compétitifs, à partir d’un minimum de matière et d’espace naturels.

Services éco-intelligents
Services répondant à une demande – ou à un faisceau de demandes – précises et socialement
acceptables à un prix compétitif grâce à l’utilisation de produits éco-intelligents (“machines
fournisseuses de services”) et d’un minimum de ressources naturelles.

Processus éco-intelligents
Processus techniques qui fonctionnent à des prix compétitifs car ils utilisent des produits écointelligents et un minimum de ressources naturelles tout en produisant un minimum de déchets et de substances toxiques.

Production éco-intelligente
Processus organisationnels et techniques mis en oeuvre pour produire des biens et des services à des prix compétitifs. Ces processus utilisent des produits éco-intelligents et un minimum de
ressources naturelles tout en produisant un minimum de déchets et de substances toxiques.

Consommation éco-intelligente
Utilisation de produits et de services éco-intelligents. Pour un pays donné dans son ensemble, la quantité totale de ressources naturelles consommées ne devrait pas excéder le dixième de la
quantité totale utilisée en 1995.

Economie éco-intelligente = économie à la demande = économie durable
Une économie durable du point de vue écologique est une économie de marché qui assure à toute
la population un maximum de services de haute qualité à la demande dans la limite de rails de
sécurité d’un Facteur d’au moins 10.

Economie de services éco-intelligente
Dans une économie de service qui fonctionne conformément aux concepts MIPS et Facteur 10, la
plupart des services éco-intelligents sont commercialisés et payés en COPS (Coût Par unité de
Service). Dans la plupart des cas, le client se procure directement de tels services. Lorsque cela n’est pas avantageux, le client achète le produit éco-intelligent approprié dont le prix est fixé en fonction du nombre garanti d’unités de services fournies par ce produit.

“Rucksack” : Poids mort écologique d’un produit
Quantité totale de Matières naturelles Indispensables (MI) à la fabrication d’un produit, déduction faite du poids du produit lui-même. On additionne séparément les poids morts écologiques pour les ressources abiotiques (non renouvelables), et pour les matières biotiques, les sols perturbés, l’eau et l’air.

Total des Matières en Flux – TMF - ou Total des Matières Requises – TMR
Indicateur macro-économique pour la mesure (en tonnes par an) des quantités de matières
naturelles – y compris leurs rucksacks – nécessaires chaque année au maintien d’une économie
dans des limites politiques et géographiques bien définies. A l’heure actuelle, la consommation mondiale absorberait, apparemment, à peu près le double des quantités suffisant à une économie durable.

Economie écologiquement durable
Economie orientée vers les services à la demande fonctionnant avec au moins dix fois moins des ressources naturelles absorbées en 1995 par une économie industrialisée.